Critique du film Pingouin et Goéland de Michel Leclerc par Emécé

Jeudi 21/10 – Je reçois un message de la part du cinéma Le Club, un cinéma d’art et d’essai dans lequel j’amène parfois mes élèves voir de « vrais » films : « Invitation pour le lundi 25 octobre à 20h15 pour Pingouin et Goéland en présence du réalisateur Michel Leclerc ». Moue interrogative, c’est quoi ce truc au titre de film pour enfant ? Je regarde l’affiche où l’on voit deux personnages, un homme au visage buriné et une femme à la coquetterie du milieu du XXème siècle. Tiens, ça pourrait ressembler à des personnages de Chat noir, Chat blanc de Kusturica ou Train de vie de Mihaileanu. Un truc un peu exotique, drôle et tragique à la fois. Au moment de me dire « ouais on verra », mes yeux tombent sur la phrase sous les visages « C’est l’histoire d’un couple qui ne pouvait pas avoir d’enfants et qui en a eu des centaines. » Curiosité piquée, je creuse le texte accompagnant le message : « C’est l’histoire d’Yvonne et Roger Hagnauer, que tout le monde appelait Goéland et Pingouin. C’est l’histoire d’intellectuels, anarchistes, pacifistes, syndicalistes, féministes. Et puis c’est un peu mon histoire, puisque ma mère, sauvée par ce couple, a passé dans cette maison toute son enfance. ». Film soutenu par la Fondation pour le Mémoire de la Shoah. Il n’en fallait pas plus.

Vendredi 22/10 – Après avoir visionné le teaser, je suis emballée plus que jamais et je tente de convaincre quelque personnes de venir ; elles seront au nombre de deux (ma force de persuasion en prend un coup). Je me renseigne un peu sur Michel Leclerc, ça ne me dit rien au départ (Pardon Michel). Aaah bein oui ! Le nom des gens, Fais pas ci, Fais pas ça…ok, d’accord. Sur Wikipédia, ils disent « documentaire ».

Lundi 25/10 – Je retrouve devant le cinéma une file heureuse d’être en avant-première les spectateurs du film. Dans la petite salle aux sièges rouges, il fait déjà chaud. Chacun a à la main la plaquette présentant le film. Certains la lisent avec attention. Je préfère me laisser porter par le film. Présentation par l’équipe du Club et quelques mots de Michel Leclerc : je suis toujours étonnée comme les artistes peuvent être abordables. On sent une gentillesse une simplicité.

Je ne vous raconterai pas ce film, allez le voir. Il est sorti le 03 novembre et vous ne savez pas encore que vous l’attendiez.

Mais je vous dirai : ce film n’est pas un documentaire. C’est aussi un documentaire. Ce film n’est pas un film pour enfant, c’est aussi un film pour enfant, avec des enfants (plus ou moins âgés). Ce n’est pas un film anarchiste, pacifiste syndicaliste, féministe, c’est aussi un film anarchiste, pacifiste syndicaliste, féministe. Ce n’est pas qu’une histoire singulière et personnelle, c’est notre histoire.

Cette œuvre réalise le tour de force de mêler les styles, les idées, le témoignage et la fiction, le dessin, les archives et de rester, en même temps, d’une cohérence, d’une intégrité et d’une authenticité absolues. Cet objet cinématographique pose mille questions : sur l’art du cinéma, sur la transmission de la mémoire collective, familiale, sur l’oubli et le secret, sur l’éducation, sur l’amour… Jamais sentencieux ou moralisateur, il n’exclut pas la franchise. Nous voyons des personnes exemplaires dans le plein sens du terme. A la sortie du film, je suis regonflée à bloc : mon métier, le projet du Train de la Mémoire, ma famille et ceux que j’aime : tout me paraît plus beau.

C’est donc un film rare. Nous avons passé un peu moins de deux heures à faire connaissance avec les personnes dont un morceau de vie est retracé : nous sommes avec eux, dans leur regard sur la vie, dans leur jardin, à leur table, dans leur relation aux autres. Le regard affectueux porté par la caméra nous les rend familiers et aimables.

Yvonne et Roger sont Goéland et Pingouin : le travestissement nécessaire de leur nom, ainsi que de ceux qui encadreront les enfants, font partie de la survie à l’époque. Mais ce mensonge sur leurs identités, loin de les éloigner du spectateur, les rapproche au contraire, un peu comme des totems qui veilleraient sur le monde.

Juliette, Léa, Gisèle, Fortunée, Graziella, Simone, les filles des deux Sèvres, merci de nous avoir permis pendant quelques minutes de faire partie de la bande, merci de nous avoir fait rire avec vous.

Un spectateur, à l’issue de la projection, fait la réflexion suivante : « On devrait voir plus d’œuvres comme la vôtre pour contrer les idées nauséabondes qui fleurissent actuellement. » Non, monsieur, je ne suis pas d’accord avec vous. Ce film n’est pas fait pour « contrer », pour lutter, pour contredire, pour s’opposer. A mes yeux, ce n’est pas là la vocation du film, même si, par son propos même, il est un garde-fou contre la bêtise.

Ce film n’a pas besoin d’avoir une mission assignée. Ce film est. Les gens qu’on y voit sont.  Leurs noms, leurs surnoms et leurs visages sont. Au-delà d’eux-mêmes, ils sont ce que nous cherchons tous pour vivre mieux : l’humanité.

                                                      Article rédigé par Emécé

Pièce de théâtre : Après l’oubli

Soit deux voix : celle de Julie Benegmos, petite-fille de rescapés  d’Auschwitz et celle de Frederika Amalia Finkelstein, écrivaine qui  tente par tous les moyens d’oublier la Shoah.  De leur rencontre naît  une envie commune de ré-inventer le « devoir de mémoire ». Une tentative  de répondre à la mission de la transmission sans en porter le poids de  la culpabilité.

Texte : Julie Benegmos et Frederika Amalia Finkelstein
Mise en scène : Julie Benegmos + Marion Coutarel
Jeu : Julie Benegmos
Création lumière: Maxime Denis
Scénographie : Aneymone Wilhelm

Au Théâtre de la Reine Blanche les 15, 16, 17, 18 septembre à 19h.

Selon Alice Fiedler, la pièce de Julie Benegmos « Après l’oubli » va au-delà des attentes et de ce que l’on a déjà vu. Julie Benegmos parle avec humour de traumas trans-générationnels et nous laisse songeurs quant à l’impact sur nous-mêmes de notre propre histoire familiale.

Dans son spectacle, avec décalage et sens de l’humour, Julie nous confie toutes ses tentatives de dépasser le traumatisme : « Le devoir de mémoire existe. J’aimerais que le devoir d’oubli existe également. Perdre la mémoire pourrait être un début de solution. Mais ce que j’ignore c’est si je
peux décider de la perdre ou si cela ne relève aucunement de ma volonté. »

https://www.reineblanche.com/calendrier/theatre/apres-l-oubli